PROJET D’ACCÈS MOTORISÉ VERS LE HABERT DU JARLON (mai 2015)
Incidence environnementale
Le maire de Sainte Agnès envisage de faire élargir l’accès au habert du Jarlons pour en faciliter l’accès en quad aux alpagistes. Toutefois il s’agit d’une zone dans laquelle des tetras-lyres nichent et pourraient être menacés. Les travaux créeraient une balafre dans ce paysage visible depuis tout le Grésivaudan et ouvrirait cet espace aux engins motorisés.
Une délibération équilibrée semble conclure cette affaire : la municipalité s’est prononcée pour un aménagement de la piste jusqu’aux abords de la zone sensible, mais pas au delà.
NOVEMBRE 2015
Le conseil municipal de Sainte-Agnès, lors de sa séance du 19 octobre 2015, a voté à l’unanimité en faveur de la réalisation du 1er tronçon « La Tona-Loche », abandonnant par là-même le projet de 2ème tronçon « Loche-Habert du Jarlon ». Ce choix a été guidé, entre autre, par la demande de révision à la baisse de la part des alpagistes. La mairie prévoit de déposer prochainement un dossier auprès de la fédération des alpages et de solliciter un accompagnement technique (délibération en pièce jointe).
Nous prenons acte de ce choix, et nous constatons qu’il va dans le sens de nos préoccupations.
MAI 2015
Le présent compte-rendu est le fruit d’une visite sur le terrain effectuée le 8 mai 2015 en présence de Christophe Chauvin (GRENE), Pierre Bancilhon (GRENE), Gilles Deloustal (commission « Montagnes » FRAPNA ISERE) et Bruno Steffanut (GRENE).
Cette sortie avait pour objectif de confronter les différents arguments avancés pour ou contre ce projet, notamment lors de l’entrevue avec le maire de Saint-Agnès le 24 avril 2015, en présence de représentants du GRENE et de la LPO.
Le projet, pour mémoire
Trois éleveurs de la commune utilisent l’alpage municipal au Habert de Jarlons, où ils laissent une trentaine de bovins durant l’été (juillet-août). Bi-actifs, ils montent à tour de rôle pour soigner une bête ou apporter du matériel. Actuellement, la dernière partie du trajet se fait à pied ; elle nécessiterait une quarantaine de minutes de marche d’après le maire.
Les éleveurs demandent un élargissement à 1,40 m du sentier piétonnier pour leur permettre d’effectuer leur montée en quad jusqu’au bout.
Soucieux du maintien d’une activité pastorale sur la commune, le maire souhaite faire effectuer les travaux requis. Leur montant estimatif serait d’environ 30.000 €. Le projet devrait être présenté en conseil municipal d’ici le mois de juillet.
Enseignements tirés de la visite de terrain
Ils sont présentés séparément ci-après, dans un souci de clarté,. Incidemment, l’importance de chacun peut s’avérer relative individuellement. Ce n’est plus le cas si on considère leur impact additionnel. Il est donc nécessaire de bien considérer l’incidence du projet dans sa globalité.
Le maintien d’une activité agro-pastorale en montagne
De multiples raisons plaident en faveur du maintien d’une activité agro-pastorale en montagne : préserver un patrimoine, conserver une activité de proximité source d’emploi local, ne pas laisser le paysage se fermer, etc.
Pour autant, la lisibilité de l’utilisation et de l’entretien de cet espace composite que constitue l’alpage (zone de pâture, espace protégé, sentiers d’origine humaine et animale) n’est pas claire. Où sont les limites de chacun de ces usages ? Comment s’organisent et interfèrent ces différents statuts ?
Le gain de temps
Le dernier tronçon, parcouru à vitesse modérée, demande moins de 25 mn. Sachant que cette montée est effectuée ponctuellement, deux mois dans l’année, et en alternance par les trois éleveurs. L’utilisation d’un quad réduirait ce trajet au moins de moitié. Mais est-ce qu’un trajet de 10 mn, fait de temps en temps, peut justifier une telle dépense pour la réalisation d’un ouvrage marquant d’une empreinte durable le paysage ? Le recours à un mulet, comme cela se fait ailleurs en Belledonne, permet de soulager l’éleveur s’il doit monter du matériel, sans avoir à retoucher au sentier existant.
La préservation d’un patrimoine
La réalité éco systémique de notre environnement, c’est qu’il ne (re)connaît pas les limites administratives. Certes, le sentier concerné ne traverse pas l’espace où la présence du Tétras Lyre est avérée ; mais il le longe et cet espace est de faible superficie par comparaison à d’autres lieux où cette espèce a été répertoriée en Belledonne.
Ainsi, le remplacement d’une circulation pédestre par une circulation motorisée, à proximité immédiate de cet environnement fragile, sera facteur de nuisances sonores et donc de dérangements répétés. Cette altération de la tranquillité des lieux porte est susceptible de remettre en cause l’habitat favorable à cet oiseau ; ce qui serait préjudiciable pour la biodiversité.
Ce changement de mode de déplacement induit en outre l’apport en altitude d’une source de pollution de l’air. Que la commune de Saint-Agnès opte pour un tel mode paraît peu judicieux, si l’on considère le caractère critique de la qualité de l’air dans la vallée du Grésivaudan, et par cohérence avec la démarche territoriale[1] mise en œuvre pour réduire les sources de pollution et limiter leur impact.
Ces différentes incidences sont d’ailleurs à envisager à une échelle plus importante que celle sous-tendue par le passage périodique de l’un des éleveurs. On sait d’expérience que, dès lors que la modification physique du sentier aura été réalisée, pour y permettre précisément la circulation d’engins motorisés de petit gabarit, l’alpage deviendra de fait accessible pour tous ceux possédant ce type de moyen de locomotion. Et la collectivité, faute de pouvoir le contrôler, ne pourra pas en avoir la maîtrise. Par effet domino, qu’est-ce qui empêcheraient d’autres communes du secteur à procéder à leur tour à un tel aménagement, aggravant d’autant l’impact humain sur cet espace singulier ?
Enfin, il convient de ne pas négliger l’impact visuel de tels travaux. La visibilité d’un sentier n’est de toute évidence pas la même que celle d’une voie accessible à des engins motorisés. Celui concerné par le projet est particulièrement visible depuis le bourg de Ste Agnès, l’ensemble de la vallée du Grésivaudan et le massif de la Chartreuse, puisqu’il s’agit des pentes d’Orionde, petit sommet avancé de la chaîne de Belledonne. A cet endroit, la forte pente imposera la multiplication des lacets, donc la défiguration du paysage. A contrario, une desserte trop droite pourra favorisera ruissellement et érosion.
S’il est important de conserver une activité agro-pastorale, celle-ci n’est pas la seule à vouloir valoriser les alpages. L’éco-tourisme, par le biais notamment de la randonnée, implique leur parcours, les alpages étant soit le but du déplacement, soit un lieu de transit en direction des hautes montagnes. Pour ce public, c’est bien l’accès piétonnier qui est recherché.
Ce serait donc un bien mauvais signal pour la majorité des habitants du Grésivaudan que d’accepter une telle atteinte à l’harmonie des lieux au moment où se préfigure le parc naturel régional de Belledonne.
En conclusion
De multiples raisons plaident en faveur du maintien d’une activité agro-pastorale en montagne.
Néanmoins, dans le cas d’espèce, les avantages attendus du projet, dans sa configuration actuelle, ne nous semblent pas justifier les coûts prévisibles, financiers et surtout environnementaux. Pour récapituler, nous avons noté :
- un gain de temps mineur, pour des déplacements ponctuels deux mois par an ;
- le coût probablement élevé de ces travaux, sans compter les frais d’entretien de la voirie ainsi créée ;
- leurs incidences prévisibles sur le patrimoine écologique, en particulier pour le Tétras Lyre, et un impact paysager majeur ;
- les risques de fréquentation supplémentaire incontrôlée induite.
Ce projet doit aussi être apprécié dans un contexte plus global : la nécessité reconnue à faire évoluer les activités et les usages de manière à en réduire leur contribution au changement climatique. D’autant plus que cet espace public, utilisé par des éleveurs et des randonneurs, a vocation à faire partie du Parc Naturel Régional de Belledonne en préfiguration.
[1] Le plan de protection de l’air de l’agglomération grenobloise (peut-être prévoir un lien vers le site de l’agglomération où cette démarche est présentée ?).